"Ce qui serait chouette, c’est qu’on choisisse un peu plus comment on dit au-revoir."

Rencontre avec Marie Lecomte au sujet de sa nouvelle création "Feu les animaux"

A travers le deuil d’animaux sauvages ou domestiques, petits ou grands, la joyeuse bande de Marie Lecomte tente de trouver quelques moyens de le faire : spectacle musical qui traite de nos rites liés à la mort, Feu les animaux est une invitation à la célébrer autrement. Une interview menée par Sophie Thomine. 

 

 

"Je me questionne beaucoup sur la place de la mort dans nos sociétés occidentales"

Feu les animaux est un spectacle adressé aux petits et aux grands autour de la mort et de nos rites funéraires. Pourquoi avoir décidé d'aborder ce sujet pour cette création ?

Je me questionne beaucoup sur la place de la mort dans nos sociétés occidentales, ou plutôt sur la « non place ». Bien souvent on la relègue le plus loin possible, on expédie les cérémonies funéraires en très peu de temps. Alors que le rituel me semble fondamental pour pouvoir faire le travail de deuil, pour que celles et ceux qui restent puissent ensemble « faire quelque chose », comme cela se pratique si naturellement dans d’autres sociétés. Ce questionnement m’a amenée très naturellement à écrire un spectacle pour les enfants pour qui ce sujet est bien moins tabou que pour les adultes.

 

Pour cette création vous vous êtes beaucoup renseignée sur les rites funéraires de différents pays ; qu'est-ce-que cela vous a appris ? Vous en êtes vous inspirée pour Feu les animaux ?

Avec l’équipe, on a commencé par regarder « Des morts », documentaire culte de Thierry Zéno, cinéaste belge, c’était une plongée incroyable dans des rites qui sont très loin des nôtres. Dans beaucoup d’endroits, on a une proximité physique avec les mort·es, on leur parle, on les promène, on les « sort » chaque année. J’ai beaucoup fouillé sur le net aussi, j’ai été notamment marquée par les enterrements au Ghana qui prennent la forme de grandes fêtes et où les cercueils sont décorés et personnalisés selon les goûts du défunt. Certains sont en forme d’avion, d’ananas, d’oiseau, de voitures etc...

Dans Feu les animaux, même si j’ai été marquée par toutes mes recherches, j’avais envie que  les protagonistes inventent leurs propres rites, cherchant avec les petits moyens qu’ils ont, c’est-à-dire par la musique, les mots, les danses, à rendre hommage à un être qui fut et n’est plus. Comment forger, à partir des modèles qui nous sont proposés, nos propres rites, ceux qui nous feront du bien à nous.

 

"Même si nous nous adressons aux enfants, nous ne faisons pas de la musique pour enfant"

La musique fait partie intégrante de vos créations théâtrales. Parlez-nous de cette hybridité qui constitue votre identité artistique.

Je ne viens pas de la musique, je ne suis pas musicienne, mais de manière totalement intuitive j’ai toujours intégré de la musique live dans mes spectacles. C’est comme si elle venait apporter une part de mystère et d’émotion que ne peuvent contenir les mots, comme si elle donnait accès à un autre pan plus instinctif, moins intellectuel de nous, ou de moi en tout cas. J’ai parfois le même sentiment en assistant à une exposition, l’émotion qui débarque peut me submerger intensément en allant stimuler des zones de mon cerveau très différentes. J’aime ce mélange théâtre-musique, j’aime aussi ne pas me mettre dans des cases : est-ce un concert ou un spectacle ? On s’en moque un peu, en fait, ce qui compte c’est que cela nous ressemble, et que ce soit sincère.

 

Quelle place aura la musique dans Feu les animaux ?

Il y aura de la musique un peu tout le temps ! Ou plutôt des musiques, car on s’aventure dans plein de registres différents. Le thème du requiem sera présent au début, décliné avec des instruments variés (du clavier en passant par des minis synthétiseurs,  boîtes à rythme, guitare électrique, flûte à bec, likembé..) et laissé de côté au fur à mesure que les protagonistes se rendent compte qu’une musique d’enterrement peut être autre chose que triste. Nos influences sont Purcell ou Mozart pour les classiques, mais j’ai été très inspirée par Laurie Anderson, Pierre Bastien, Paul Mc Cartney ou même Krafwerk pour les compositions. Nous naviguons entre rock, electro, et musiques traditionnelles africaines, corses ou mexicaines.

En tout cas, même si nous nous adressons aux enfants, nous ne faisons pas de la musique « pour enfant », je pense en effet que les enfants peuvent sans problème écouter la même musique que leurs parents.

 

Qu'aimeriez-vous que les spectateur·ices retiennent de votre spectacle ?

Qu’on peut parler de la mort avec les enfants, que l’ on peut même s’inspirer de leurs réactions, qu’ils ont beaucoup moins peur que nous. Parler de la mort à travers le prisme d’animaux « inconnus » permet d’approcher cette thématique de manière un peu plus détachée que lorsqu’il s’agit du décès d’un animal domestique ou d’un être cher. Et nous amène je l’espère tout naturellement ensuite à parler de « nos » morts. 

Et puis si on pouvait se dire, comme pour tout, qu'il n’y a pas une bonne façon de faire, une bonne recette d’enterrement, mais que ce qui serait chouette, c’est qu’on choisisse un peu plus comment on dit au-revoir.

 

 

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