"Il y a un fantasme autour de la création" : garçongarçon nous raconte "Bellissima"

Rencontre avec Salvatore Calcagno et Antoine Neufmars

C'est l'histoire d'une pièce qui regarde amoureusement un film. C'est l'histoire de Bellissima, qui ouvre 23-24 au Varia, portée par la compagnie garçongarçon. Un oeil sensible sur la création, ses doutes et ses frustrations et un regard complexe sur les fantasmes qu'elle évoque. On a rencontré Salvatore Calcagno et Antoine Neufmars de garçongarçcon qui ouvrira la saison 23-24 du Varia au Théâtre avec une ode à Visconti, la création et au cinéma. Une interview menée par Sophie Thomine. 

Porter un regard complexe et sensible sur l'industrie du cinéma

Vous adaptez librement le film Bellissima de Visconti pour privilégier une narration moins linéaire faisant place à un univers plus fantasmé, parlez-nous de ce choix.

Bellissima est l’oeuvre qui a donné l’impulsion à nos recherches et à la création. Nous avons été particulièrement touchés par la figure pure et authentique de la mère dans l’oeuvre de Visconti. Cette femme qui tente d’intégrer le milieu du cinéma, de l’Art. Un milieu social qu’elle fantasme, qu’elle désire.

L’intention n’a jamais été que le film de Visconti soit le document principal à partir duquel la création allait s’exprimer, mais bien d’en faire une adaptation très libre.

Dans le scénario original, par exemple, la vision du monde artistique est très binaire. Nous portons un regard beaucoup plus complexe et sensible sur cette industrie. Nous avons donc élargi cette partie du récit à partir de propositions au plateau, en dialogue avec d’autres documents inspirationnels ; ce qui a permis d’ouvrir un espace critique plus large sur « l’acte de créer » par le prisme d’autres figures (une actrice en fin de carrière, un photographe de plateau, une productrice, une jeune Diva, une monteuse, une première assistante, un directeur de casting…). Ces figures parlent de passion, de désir, de frustration, de rêve. C’est aussi un spectacle qui parle du jeu, de se laisser regarder comme interprète, de la peur que cela peut engendrer. C’est là que se loge notre part d’adaptation. C’est ce qui nous semblait plus juste pour le récit que se tisse actuellement au plateau.

Et c’est ce que nous trouvons beau : la rencontre entre le personnage de la mère, son combat, et cet espace critique que nous apportons à cette création.

 

"L'enfant apparaît comme un miracle"

Votre mise en scène combine habilement le néo-réalisme du film de Visconti et la beauté qu’il y a dans le combat d’une mère pour s’extraire de son milieu social. Parlez-nous de cette esthétique qui mélange documentaire et poésie.

Souvent dans nos créations, il y a un ancrage très fort dans le réél.

Le Néoréalisme prend racine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’homme est absent (meurtri par la guerre, ou mort au combat), la femme prend une place nouvelle, elle participe activement au changement de la société. Chez les auteur·ices néoréalsites, une autre figure s’impose : l’enfant. Il apparaît alors comme un miracle, un espoir, une possibilité de changer le monde.

L’enfant pour le néo-réalisme, est un moyen d’offrir au spectateur·ice une lecture de la réalité vierge de toute prédétermination, sans pour autant nier l’héritage de la société représentée. À la fois, les enfants subissent les conséquences des actes commis par les adultes, à la fois ils nous amènent à poser un regard neuf et magique sur le présent, le futur.

Le néoréalisme est dans une texture très cinéma-vérité, quasi-documentaire, mais qui d’un coup rencontre la poésie, une magie, un espoir souvent sous des formes assez symboliques comme une apparition, une lumière, une musique, un corps.

C’est dans la confrontation de ces éléments dramaturgiques que se construit notre esthétique.

"La prédominance de la figure féminine dans nos oeuvres"

La Vecchia Vacca,  La voix humaine, Un Tramway nommé Désir et aujourd’hui Bellissima, vous aimez mettre en scène des femmes fortes aux prises avec une vie qui bien souvent ne les épargne pas. Que vous inspirent ces figures féminines ?

Elles ont toutes un lien dans les blessures qu’elles portent en elles face au monde et dans les combats qu’elles mènent. Ces femmes déplacent des montagnes pour changer l’état des choses.

La prédominance de la figure feminine dans nos oeuvres et l’amour des personnages féminins peut aussi être liée aux questionnements similaires de la communauté queer dont nous faisons partie.

Les deux se retrouvent « en combat et métamorphose » face à une société et une pensée dominante qui les évincent, les vulnérabilisent, ou les discriminent.

 

Vous travaillez souvent en collaboration étroite, pouvez-vous nous parlez de votre dynamique de travail sur cette création ?

Cela fait en effet des années que nous travaillons ensemble. Nous co-dirigons la structure garçongarçon asbl depuis une dizaine d’années.

Le choix de se mettre en production est un choix qui découle d’échanges sur l’évolution du répertoire de garçongarçon. Un projet comme celui-ci d’une telle envergure, et qui implique autant de monde, ne peut pas se porter seul.

Sur Bellissima, la présence d’Antoine se traduit par une collaboration à la mise en scène, par le prisme de la dramaturgie et de l’écriture.

Dans le travail de Salvatore Calcagno, écriture et mise en scène sont intrinsèquement liées. « L’écriture est le squelette de la mise en scène », c’est une phrase que nous employons souvent. Cette écriture est plurielle : écriture plateau et continuité dialoguée, musique, chorégraphique, lumière…

 

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