Quel est le prix de l'intégration ? Rencontre avec Nadine Baboy autour de "Désintégration Culturelle"
Du 10 au 13 octobre au Théâtre Varia
Recomposant les morceaux épars de son héritage, Nadine Baboy propose avec Désintégration Culturelle une expérience percutante, qui célèbre la richesse de son métissage culturel. On a décidé de lui poser quelques questions pour mieux comprendre la pièce et savoir : quel est le prix de l'intégration culturelle ?
Propos recueillis par notre attachée de presse Sophie Thomine.
Sophie Thomine : Pourquoi avoir choisi ce titre, "Désintégration culturelle" ?
Nadine Baboy : Le titre "Désintégration Culturelle" peut se lire de manière différente selon l'interprétation que l'on en fait. Pour moi, ce titre résonne particulièrement avec mon vécu personnel. Ce spectacle est autobiographique et aborde la question de l'héritage culturel et de la préservation de sa culture lorsqu'on évolue dans un pays qui n'est pas le sien. Je suis née au Congo et j'ai grandi en Belgique depuis mon enfance. À l'origine ma langue maternelle était le lingala, mais en arrivant en Belgique, j'ai dû apprendre le français, une des langues nationales du pays, afin de m'intégrer au mieux. Mes parents ne s'attendaient pas à ce que je finisse par oublier ma langue maternelle.
La question se pose donc : quel est le prix à payer pour s'intégrer dans un nouveau territoire, dans un pays d'accueil qui n'est pas notre pays d'origine ? J'ai eu cette sensation que ma culture se désintégrait progressivement, sans même qu'on s'en rende compte, et le résultat est que je me retrouve adulte, dépouillée de ma langue maternelle, car elle n'a pas été entretenue durant mon enfance. Je pense que mon histoire peut résonner chez d'autres personnes. En tant que citoyen·nes du monde, nous sommes tous·tes amené·es à voyager un peu partout et cette sensation de vivre dans un pays qui n'est pas le nôtre, avec une culture différente de celle d'origine, est quelque chose que beaucoup de gens ont vécu. En racontant mon histoire, je pense que d'autres personnes peuvent s'identifier à mon expérience.
Un spectacle pluridisciplinaire
ST : Tu parles de la langue, tu as été "dépouillée de ta langue" pour pouvoir parler le français, sur scène tu as plusieurs moyens d'expressions, notamment le corps et la danse, est-ce que tu sais nous en parler un peu plus ?
NB : Je considère que j'ai plusieurs langues artistiques pour m'exprimer. Il y a bien sûr la danse, qui utilise le corps comme moyen d'expression. Mais il y a aussi les mots, les expressions poétiques et même la création musicale. C'est un véritable mélange d'expressions artistiques dans ce spectacle. La création du spectacle se concentre réellement sur la poésie. C'est vraiment le fil conducteur de la pièce. Autour de la poésie, nous développons la danse, la musique et la mise en scène. Les mots et la poésie sont au cœur de la création de ce spectacle. Ce spectacle est en quelque sorte une version contemporaine du métissage, non seulement dans le choix des expressions artistiques, mais aussi dans les styles. En ce qui concerne la danse, on peut retrouver un mélange assez éclectique de styles tels que le hip-hop, les danses africaines traditionnelles, le dancehall, la housedance, le flamenco, le tango, et bien d'autres encore. Chaque discipline représente à sa manière le métissage artistique.
Pour ce qui est de la dimension artistique pluridisciplinaire, je pense que chacun peut y trouver son compte. Si quelqu'un·e est plus sensible à la poésie, aux mots, aux paroles, iel sera servi·e. De même pour celle·ux qui sont plus sensibles à la danse ou à la musique. Je suis convaincue que la variété artistique proposée permet de toucher un large public..
ST : Pourquoi avez-vous choisi de ne pas avoir de gradins et de permettre au public d'être assis ou debout avec vous lors de votre spectacle ?
NB : Ce choix découle de la nature même de la création de notre spectacle. L'idée de Désintégration Culturelle est née lors d'une exposition pluridisciplinaire au Musée Juif, organisée par une amie qui dirige l'ASBL Mangoo Pickle. L'une des performances de cette exposition appelée "Close up", avait lieu dans une partie du musée composée de plusieurs pièces, créant ainsi une atmosphère semblable à celle d'une grande maison. C'est à ce moment-là que mon amie m'a demandé si je pouvais créer une performance mêlant slam, musique et danse. Inspirée par la thématique de cette exposition qui tournait autour de l'héritage culturel, j'ai saisi cette opportunité pour créer un spectacle qui aborde justement cette question d'héritage culturel lié à la langue.
Ainsi, dès sa création, le spectacle a été conçu dans une configuration où le public voyage avec nous. Il se déplace de pièce en pièce en compagnie des performeur·euses et essaie de trouver sa place afin de suivre l'histoire qui se déroule. Dès le départ, nous avons souhaité sortir des conventions habituelles en choisissant des conditions de représentation non conventionnelles. Nous avons eu la chance de pouvoir le jouer dans différents endroits, lors de festivals, tout en conservant ce caractère itinérant où le public voyage avec nous et est totalement immergé dans notre univers. Il n'y a pas de séparation entre le public et les artistes. Nous avons cherché à créer une nouvelle proximité, une nouvelle rencontre avec notre public. C'était également une manière de briser le quatrième mur et de permettre au public de réellement rencontrer les artistes au sein de la performance.
5 sur scène : 4 performeur·euses et le public
ST: Quelle a été la réaction du public ?
NB: Ce qui ressort en premier lieu, c'est l'effet de maintien de l'attention sur le public. Notre groupe de quatre performeur·euses est présent sur scène, et le public représente le cinquième performeur. À chaque représentation, c'est une expérience nouvelle, tant pour nous en tant qu'artistes que pour le public. Même si le spectacle est le même, nous ne vivons jamais deux fois la même performance. En réalité, nous invitons véritablement le public à rechercher son confort dans l'inconfort, et nous faisons de même. Étant donné que le public se place un peu partout sur la scène, sans indications précises, il arrive parfois qu'il se trouve sur un espace ou une partie de la scène qui sera utilisée. Nous devons donc nous adapter en direct. Le public recrée avec nous un spectacle unique.
Je tiens à souligner que les réactions du public sont généralement très positives. Certain·es spectateur·ices sont même profondément ému·es. Récemment, une de mes amies est venue assister à mon spectacle et elle m'a raconté qu'une femme à côté d'elle pleurait sincèrement, touchée par mon histoire. Ce qui l'a marquée, c'est que cette dame était, en apparence, très différente de moi, mais elle a été réellement touchée par mon récit. Ce qui est intéressant, c'est que mon histoire, en tant que femme d'origine congolaise en Belgique, peut toucher des personnes de toutes origines culturelles, couleurs de peau et genres. C'est vraiment une histoire qui peut toucher chacun·e d'entre nous.
ST : En quoi "The Dancer" a-t-il enrichi ton parcours artistique ?
NB : Ma participation à "The Dancer" a été un défi artistique pour moi. Après plusieurs années d'évolution dans le monde du spectacle, notamment dans le domaine du théâtre, cela a été une opportunité de mettre ma créativité à l'épreuve dans un format plus grand public et télévisé. Le challenge était de rester authentique dans mon identité artistique tout en m'adressant à un public plus large. Je pense que cela a été une expérience enrichissante sur le plan artistique, car cela m'a permis de rester fidèle à moi-même tout en proposant un autre format.
Se recentrer sur la transmission
ST : Travailles-tu sur un prochain projet en ce moment ?
NB : Oui, j'ai de nombreux projets en cours ! Mes prochains projets sont principalement centrés sur la transmission. En tant qu'artiste, c'est fantastique de pouvoir me produire devant un public, mais je tiens également à partager les outils qui m'ont permis de progresser en tant qu'artiste et en tant qu'être humain. J'ai créé un atelier appelé "Body Language" qui se concentre sur l'expression corporelle. J'y accompagne des personnes qui souhaitent développer leur potentiel artistique à travers la danse et l'expression corporelle. Nous apprenons à raconter des histoires par le biais de la danse, à travers les mouvements et les émotions. J'apporte également mon soutien à des artistes qui désirent améliorer leur expression corporelle et scénique en utilisant les connaissances que j'ai acquises grâce au dance storytelling et à mon parcours dans le monde de l'art. La transmission est vraiment une dimension essentielle pour moi.
J'ai également un projet où je souhaite partager mes écrits. Je travaille actuellement sur la création d'un recueil de poésie que je souhaite publier prochainement. Il est encore en cours de développement pour le moment.
ST : Aimerais-tu partager autre chose avec nous ?
En tant qu’artiste et être humain, mon battement de cœur c’est de transmettre et de partager ce que j’ai reçu avec une vision qui est beaucoup plus grande que moi. Au-delà de l’art, je me vois comme une storyteller. J’ai à cœur de raconter des histoires, pour inspirer d’autres personnes à écrire leur histoire et à l’inscrire dans l’histoire de l’humanité avec un grand H.